Ardoise éternelle
En Corrèze, les Pans de Travassac, une ardoisière unique en Europe, invite à découvrir dans un paysage spectaculaire le métier d’ardoisier et ses gestes ancestraux inchangés depuis le XIVe siècle. Sont façonnés ici des ardoises de qualité inégalable qui couvrent le toit de l’abbaye du Mont-Saint-Michel ou encore, depuis peu, celui du château de Hautefort.
L’ardoise ancestrale
Le très dépaysant site évoque immédiatement un décor de film d’aventures : on déambule à travers les Pans, d’immenses falaises de quartzite alignées, dont certaines atteignent jusqu’à 60 mètres de hauteur et 300 mètres de longueur. Composés de roches inexploitables, les Pans séparaient les larges tranchées créées par l’homme pour extraire le schiste ardoisier.
Les immenses parois subsistent toujours de nos jours et composent cet incroyable décor modelé par l’homme. C’est à l’aube du XVIe siècle que débute l’exploitation des sept filons ardoisiers de deux kilomètres de longueur de Travassac.
L’ardoise extraite ici possède des qualités exceptionnelles : elle est étanche avec moins de 2% de porosité, inaltérable, résistante à la flexion, et sa longévité dépasse les 300 ans. Son étanchéité a longtemps empêché les hommes de creuser profondément pour l’extraire car l’eau s’accumulait. Dès la fin du XIXe siècle, l’arrivée de l’électricité permit l’utilisation de pompes à eau et aussi de treuils. Les ouvriers pouvaient ainsi descendre dans les puits creusés pour extraire les blocs de schiste ardoisier et les remonter.
Au début du XXe siècle, les Ardoisières Bugeat étaient l’une des entreprises qui exploitait alors le site, dirigée par le grand-père de Jean-François Bugeat, actuel propriétaire des Pans de Travassac et des Ardoisières de Corrèze. La guerre puis le déclin progressif des ardoisières en France, dû à la concurrence et à l’arrivée des matériaux composites, entraîneront la fermeture progressive des ardoisières du village en 1981.
Une tradition désormais familiale
Seule la famille Bugeat continue à perpétuer la tradition. Pour faire naître une ardoise, les blocs de roche délimités par des failles naturelles sont détachés de la paroi à l’aide d’un explosif soufflant pour ne pas les pulvériser. Le fendeur débite d’abord les gros blocs de schiste ardoisier en répartons (petits blocs) – c’est l’étape du rebillage. Vient ensuite celle du clivage où l’ardoisier, après avoir analysé les morceaux de schiste, sépare les feuilles brutes d’ardoise à l’aide d’un burin et d’un marteau. Les ardoises sont ensuite taillées puis percées afin de pouvoir être fixées sur les toits. Ces étapes nécessitent expérience et dextérité et ne peuvent pas être mécanisées, les blocs étant différents les uns des autres.
L’ardoisier doit tenir compte également de la sonorité de la roche, en la tapant avec son marteau afin d’évaluer son degré de porosité et de constater les défauts éventuels. Des démonstrations en plein air sont réalisées, sur un chantier installé au cœur des Pans de Travassac par les ardoisiers qui travaillent le reste du temps en contrebas pour exploiter la suite du filon La Fayotte, avec les mêmes techniques ancestrales et les mêmes outils mais mieux abrités, le chauffage en plus. La moitié de la production des ardoises de Travassac orne les monuments historiques.
Laurence, qui travaille sur le site précise : « Nous avons travaillé sur le chantier du Mont-Saint-Michel entre 2000 et 2016. Nous avons fourni des ardoises pour l’abbatiale, notamment, et le réfectoire des moines. 1500m2 d’ardoises ont été nécessaires uniquement pour la toiture de l’abbaye. » Une grande fierté pour toute l’équipe de cette entreprise familiale.
Portrait – Thierry Delpy, ardoisier
Originaire de la région, Thierry travaille à Travassac depuis une vingtaine d’années. Il a appris le métier auprès d’un ancien collègue. Le métier d’ardoisier nécessite d’être polyvalent. Il faut d’abord « savoir lire la pierre », être mineur et savoir pratiquer le tir de mine pour détacher les blocs des parois, être aussi fendeur, cliveur et tailleur et savoir forger les outils. C’est en 1989 que Jean-François Bugeat, propriétaire des lieux, également ardoisier, reprend l’entreprise familiale et relance l’exploitation des ardoisières de Travassac. En 1997, il décide d’ouvrir au public les Pans de Travassac pour faire connaître et partager ce lieu unique.
©REPORTAGE TEXTE & PHOTOS – CORINNE SCHANTÉ-ANGELÉ
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